Partager la publication "Titouan Bernicot (Coral Gardeners) : “Jardinier du corail, un métier d’avenir qui redonne des couleurs à l’océan”"
S’il vit à Mo’orea la plus grande partie du temps, Titouan Bernicot vient de temps en temps en Europe pour nouer de nouveaux partenariats et trouver des fonds pour le fonctionnement de son association, Coral Gardeners. Il lui faut trouver 6 millions d’euros pour 2024. Après un crochet à Milan, le voilà à Paris où nous l’avons rencontré pour parler biodiversité sous-marine, santé des coraux et régénération à l’aide de nurseries.
Par le biais d’une méthode optimisée avec l’aide de scientifiques, de passionnés qui sont de véritables “jardiniers du corail” et d’un peu de technologie pour monitorer tout ça, Coral Gardeners est devenu le projet le plus développé en la matière de par le monde, où on compte environ 500 initiatives pour sauver les récifs coralliens.
WE DEMAIN : D’où vous vient votre passion pour les coraux ?
Titouan Bernicot : Mon enfance a été assez unique. J’ai passé les trois premières années de ma vie sur un petit atoll de l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française. Mes parents étaient perliculteurs. Ils élevaient des huîtres et récoltaient des perles de Tahiti. On était loin de tout, sans même une ligne téléphonique et avec de la nourriture livrée une fois tous les deux mois. Quand j’avais trois ans, nous avons déménagé sur l’île sœur de Tahiti, Mo’orea, où je vis toujours aujourd’hui. Là, j’ai grandi en faisant du surf, de l’apnée et de la pêche sous-marine. L’océan est depuis toujours mon terrain de jeu.
Mais, à l’âge de 16 ans, je découvre un jour le drame des coraux. Alors que j’arrivais sur le line up pour attendre les vagues et surfer, j’ai regardé au fond de l’eau et remarqué que les coraux avaient soudainement blanchi. C’était la première fois que je voyais ça. Pour moi, le corail était là pour toujours, comme de la roche, un minéral. C’est à ce moment que j’ai découvert que c’était vivant. C’était il y a un peu moins de 10 ans. Depuis, j’essaie de trouver des solutions pour sauver les récifs coralliens dont on prédit l’extinction à 90 % d’ici 2050 et la disparition totale avant 2100. En 30 ans, on en a déjà perdu la moitié.
Comment avez-vous commencé votre engagement dans la préservation des récifs coralliens ?
J’ai d’abord trouvé des personnes autour de moi qui construisaient des nurseries pour recréer des récifs coralliens. J’ai accompagné l’un d’eux replanter un corail non loin de ma vague préférée, dans le lagon de Temae. Je garde encore en mémoire cette sensation magnifique de faire quelque chose d’important. Quelques semaines plus tard, j’ai interrogé des scientifiques pour savoir comment faire de la préservation des coraux mon métier. On m’a répondu qu’il me faudrait environ une dizaine d’années d’études avant d’espérer m’asseoir à leurs côtés. Évidemment, je ne voulais pas attendre aussi longtemps. Surtout, je voulais être dans le concret.
Je suis parti à Bordeaux pour faire une école de commerce mais je n’étais pas dans mon élément. Et mon projet autour des coraux était toujours bien présent dans mon esprit. Avec le peu d’argent que j’avais mis de côté en revendant quelques perles en métropole, j’ai décidé de rentrer en Polynésie et de lancer mon projet coûte que coûte. C’est comme ça que j’ai fondé Coral Gardeners en 2017, alors que j’avais 18 ans.
Quelles ont été les étapes pour lancer Coral Gardeners si jeune ?
J’ai d’abord initié une campagne de financement participatif, avec notamment l’aide du nageur olympique français Florent Manaudou. Puis nous avons eu le soutien de surfeurs mythiques des quatre coins du monde. Pour créer les premières nurseries, j’ai fait appel à des surfeurs et des pêcheurs locaux. C’est ce qui est génial avec ce projet : cela donne du travail aux personnes du coin, qui sont les mieux placées pour faire cela.
Parallèlement, je me suis rapproché des meilleurs scientifiques sur la question. J’ai échangé avec le CRIOBE français, un laboratoire mondialement reconnu pour ses travaux de recherche sur les récifs coralliens, avec le LabEx Corail mais aussi avec la Gump Station de l’UC Berkeley. Et puis, avec l’aide de mécènes, de partenariats… nous avons pu développer Coral Gardeners. Aujourd’hui, c’est le projet de restauration et de conservation des récifs coralliens le plus avancé et le plus suivi de la planète. Nous travaillons en Polynésie, aux Fidji, bientôt en Asie… Depuis le lancement, nous avons déjà planté plus de 100 000 coraux en Polynésie française, aux Fidji… Nous avons conscience que ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux besoins, mais c’est toujours ça.
Depuis le lancement, nous avons déjà planté plus de 100 000 coraux en Polynésie française, aux Fidji…
Titouan Bernicot, Coral Gardeners.
Comment fonctionne l’association Coral Gardeners ?
Nous avons une équipe de 60 employés à temps plein autour du monde. Parmi eux, nous avons dix scientifiques dont huit doctorants. Nous avons également deux anciens ingénieurs de Tesla, un de SpaceX… Nous avons ainsi fondé le CG Labs qui nous a permis de mettre en place une méthodologie très précise et efficace pour replanter les coraux, avec ce qui se fait de mieux dans la connaissance scientifique. Nous établissons aussi des standards d’évaluation de la biodiversité pour mesurer de la même manière toutes les zones restaurées ou en cours de régénération. Et puis nous avons embauché et formé 30-40 jardiniers des coraux, issus de communautés locales. Ils ont une connaissance phénoménale des écosystèmes récifaux, issue de générations de travail dans l’eau. Aux Fidji, nous recrutons d’anciens pêcheurs à la dynamite. Jardinier du corail, c’est un vrai métier d’avenir qui redonne des couleurs à l’océan.
En outre, nous avons mis au point des systèmes de surveillance par vidéo, grâce au travail du créateur du système autopilote de Tesla qui a mis au point un procédé de communication WiFi entre nos nurseries et notre siège. Température de l’eau, présence ou non de courants, de vents… nous pouvons tout suivre en temps réel via une application. Et l’IA dénombre automatiquement les poissons sur une zone pour suivre avec précision le repeuplement des récifs coralliens recréés. Par exemple, à Tiaia, nous avons créé une nurserie en décembre 2020. À l’époque, il y avait 50 poissons en moyenne sur la zone. Aujourd’hui, on sait qu’il y en a 5 000. C’est 100 fois plus en trois ans et avec 80 espèces différentes de poissons.
Comment financez-vous vos projets ?
Tout cela est possible avec le soutien de marques partenaires, comme la marque de vêtements et équipements de surf Billabong dernièrement. Pas mal d’entreprises nous soutiennent aussi, tout comme Rolex par exemple. Larry Page, le cofondateur de Google, nous a aussi bien aidé avec sa femme, Lucinda Southworth.
Le grand public nous aide aussi beaucoup. Nous leur donnons la possibilité d’adopter un ou des coraux et de suivre leur développement dans le temps. Enfin, nous venons de lancer il y a deux semaines le programme Coral Gardeners Xperience, qui est un projet d’éco-tourisme où nous leur proposons une session de jardinage pratique pour aider à restaurer les récifs coralliens et découvrir l’océan et sa biodiversité aux côtés de nos jardiniers.
En quoi consiste votre collaboration avec Billabong ?
Nous avions besoin d’un équipementier capable de créer des combinaisons adaptées pour notre travail sous l’eau dans les nurseries. Nous nous sommes tournés naturellement vers cette marque mythique qui a marqué notre enfance de jeunes surfeurs. Parallèlement, eux aussi voulaient davantage s’engager en faveur de la préservation des océans. Ils ont vite compris à quel point toute la survie de la biodiversité sous-marine est liée à la santé des coraux. Nous avons donc créé une initiative conjointe pour sensibiliser le public à la nécessité de sauver les récifs.
Nous avons aussi créé avec Billabong une collection qui rend hommage aux imprimés tiki du Pacifique Sud et à d’anciens symboles marins. Une partie des recettes sera reversée à Coral Gardeners pour cultiver et replanter des coraux résistants, adaptés aux eaux chaudes. C’est une étape de plus dans notre objectif de planter 1 million de coraux à fin 2025.
Notre objectif est d’avoir planté 1 million de coraux à fin 2025.
Titouan Bernicot, Coral Gardeners.
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