Partager la publication "Trail : les courses natures veulent se mettre au vert"
Dans un contexte international marqué par des préoccupations de sobriété et de durabilité, l’organisation d’événements sportifs de grande échelle pose question. La soutenabilité des Jeux olympiques (JO) n’échappe pas à la règle : leur impact sur l’environnement a déjà fait l’objet d’une évaluation détaillée de 1990 à 2021. À titre d’exemple, selon les estimations scientifiques, les JO émettraient l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de CO2, contre 2,75 estimés pour la Coupe du monde de football.
Comment réduire l’impact environnemental des mégaévénements sportifs et des championnats professionnels ? Les scientifiques suggèrent quelques pistes. Il s’agirait en premier lieu de réduire drastiquement la taille des événements ; de quoi restreindre les besoins en ressources, ainsi que l’empreinte carbone liée aux déplacements des spectateurs et limiter la taille et le coût des nouvelles infrastructures requises. Mais il existe une autre catégorie d’événements sportifs sur lesquels nous souhaiterions déplacer la focale : les sports de plein air, notamment les courses en montagne de types trails ou ultra-trails.
Ces événements, se déroulant dans un environnement naturel avec un minimum de routes goudronnées, concernent un spectre très hétérogène de pratiquants, allant des athlètes de haut niveau jusqu’aux coureurs amateurs.
Ces disciplines ont connu une croissance significative à travers le monde au tournant du XXIe siècle. Par exemple l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, fondé en 2003, a vu la participation de 10 000 participants – suivis par 50 000 spectateurs – pour son édition 2023. Durant l’année 2018 en France, il y aurait eu près d’un million de pratiquants de trail running – pour plus de 20 millions à travers le monde – rassemblés autour de 4 500 événements.
Pour la première fois en 2022, davantage d’épreuves de trail ont été organisées en France que de courses sur route. Il nous semble donc logique de nous concentrer sur ce type d’événements outdoor en pleine émergence, d’une part parce qu’ils se massifient et d’autre part du fait d’une certaine contradiction dans les valeurs qu’ils défendent.
Pratiqués par des athlètes passionnés de nature désireux d’entrer en contact avec elle voire de la préserver, ces sports s’avèrent extrêmement impactants sur l’environnement. Certains chercheurs évoquent ainsi une « dissonance culturelle » chez les surfeurs professionnels. En effet, ces derniers se réclament massivement d’une attitude pro-environnementale tout en étant, dans les faits, parmi les sportifs à l’empreinte carbone la plus élevée du fait de leur quête mondialisée des vagues les plus spectaculaires. Les activités de nature apparaissent ainsi, de manière un peu paradoxale, parmi les disciplines sportives les plus polluantes.
Pour ce qui concerne le trail et l’ultra-trail, une grande enquête s’est récemment efforcée d’évaluer l’impact écologique des courses les plus réputées à l’échelle mondiale. Force est tout d’abord de regretter l’absence d’un bilan carbone systématique, qui serait réalisé par un cabinet indépendant.
L’impact sur la faune montagnarde mais aussi sur la flore sauvage – à travers l’importation d’espèces végétales envahissantes au sein des écosystèmes parcourus – doit également être pris en compte, même s’il s’agit de perturbations moins facilement quantifiables.
Une étude réalisée auprès de skieurs de randonnée montre que si une large majorité d’entre eux considèrent le dérangement de la faune comme une réalité, seulement 26 % pensent avoir personnellement dérangé un animal lors de leur sortie.
Autrement dit, nombre de sportifs admettent que leur pratique comporte potentiellement un impact environnemental tout en se déchargeant quelque peu de leur responsabilité. Dans le domaine du trail, des progrès substantiels ont toutefois pu être constatés sur d’autres plans, notamment :
Il convient également de s’intéresser aux têtes d’affiche, c’est-à-dire aux athlètes de très haut niveau, dont les prises de parole, les décisions et les actions peuvent contribuer à inspirer des dynamiques plus responsables et soutenables. De là à en faire les inspirateurs de nouvelles modalités de pratiques plus écoresponsables ?
On peut d’abord évoquer la trajectoire de Kilian Jornet, star de l’ultra-trail qui, admettant avoir adopté un mode de vie extrêmement impactant sur l’environnement, a décidé de s’inscrire dans une pratique moins énergivore.
Ce revirement s’est opéré, explique-t-il, sur la base de constats répétés des « effets du changement climatique et de l’impact des actions de l’homme sur la nature », d’un besoin de cohérence avec son amour de la nature, et enfin d’une volonté de transmettre à sa descendance.
De façon concrète, son engagement se traduit par :
Régulièrement, le sportif se fend de prises de position engagées, par exemple contre le choix des sponsors de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, lequel s’était associé à la marque Dacia commercialisant de nombreux modèles de SUV, dans le prolongement des actions entreprises par l’association The Green Runners.
François D’Haene, autre superstar de la galaxie ultra-trail, a lui aussi pris sa part de responsabilité en matière de durabilité en créant, avec sa femme Carline, son propre événement de course en montagne, l’ultra-spirit, qui se veut responsable. Dès la première édition, l’athlète-organisateur a commandité et publié une évaluation d’impact environnemental.
Pour tenter de réduire le bilan carbone, la compétition mise sur :
Kilian Jornet et François D’Haene – auxquels nous pourrions ajouter Xavier Thévenard – sont des sportifs aguerris et reconnus. Au fil de leur carrière, ils ont pu observer les changements profonds dans leur environnement de pratique sportive, auquel ils sont affectivement attachés, au point de vouloir devenir des acteurs responsables.
Cette trajectoire militante allant de la pratique régulière en nature vers l’activisme écologique a été mise en évidence à plusieurs reprises par la littérature scientifique, y compris pour les sports d’hiver.
Mentionnons enfin les prises de position de l’espoir britannique du demi-fond Innes FitzGerald, âgée de 16 ans, qui a demandé à sa fédération de ne pas la sélectionner pour les championnats du monde de cross-country en Australie afin de ne pas alourdir son bilan carbone.
L’événementiel sportif, notamment dans la sphère de l’outdoor, est-il compatible avec la préservation de l’environnement ? Pour répondre à cette question, on ne peut faire l’économie d’un raisonnement complexe. En effet, organiser des événements dans une finalité lucrative, qu’il s’agisse de trails en montagne ou de Jeux olympiques, va indéniablement impacter l’environnement aux niveaux local et global. Mais, en parallèle, ils peuvent générer d’autres formes de bénéfices, aussi bien en termes économiques, sociaux que géopolitiques, culturels et sanitaires.
Une solution évidente consisterait à réduire le nombre des événements, leur taille ainsi que le volume de déplacements. Or, ces transformations semblent aller à contre-courant des tendances contemporaines à l’« extrême de masse » et à la « voracité sportive » où il s’agit, à l’inverse, de consommer et d’accumuler, de son vivant, un maximum d’expériences toujours plus intenses et exceptionnelles.
Il faudrait aussi prendre en considération la grande variété des formats de course. Aux compétitions massifiées et fortement impactantes, répondent des organisations de courses plus locales et de taille restreinte.
La question est cruciale, car si les événements outdoor impactent indéniablement les changements environnementaux et climatiques, ces derniers ont également, en retour, des répercussions sur la possibilité même de pratiquer l’activité physique en milieu naturel. En cause : l’augmentation de la pollution de l’air, de la fréquence et de l’intensité des pics de chaleur et des catastrophes naturelles, comme le rappelait une revue de littérature en 2021.
À propos des auteurs :
Guillaume Dietsch. Enseignant en STAPS, Agrégé d’EPS, UFR SESS-STAPS, Université Paris-Est Créteil, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).
Brice Favier-Ambrosini. Professor, Educational sciences, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Matthieu Quidu. Maître de conférences en sociologie du sport, Université Claude Bernard Lyon 1.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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