Tristan Lecomte : “L’agroforesterie sera la nouvelle révolution agricole”

Indéfectible optimiste, Tristan Lecomte est avant tout un iconoclaste. Après des études à HEC et un passage chez l’Oréal, il lance en 1998 Alter Eco,pionnier du commerce équitable. Depuis 2008, il se consacre à Pur Projet, un collectif qui aide les entreprises à compenser l’impact social et environnemental de leurs activités, via une gestion des forêts au service des populations défavorisées. Désigné en 2010 comme l’une des « 100 personnes les plus influentes du monde » par le magazine américain Time, l’homme n’a pas peur de s’adresser aux paysans du sud et aux grands patrons à la fois. Ni de déranger, pour peu qu’il fasse avancer sa cause.
 
Il a répondu aux questions de We Demain depuis sa résidence en Thaïlande, où il est aussi petit producteur de riz.

We Demain : Après Alter Eco, vous vous consacrez à la forêt à travers Pur Projet. Pourquoi avez-vous décidé de faire de l’arbre votre nouveau combat ?
 
Tristan Lecomte : L’arbre n’est pas un supplément d’âme ou un simple objet poétique. C’est un acteur à part entière qui remplit des rôles multiples. C’est d’abord un fantastique support de biodiversité, un habitat naturel pour les insectes et les oiseaux, qui permet de lutter contre les nuisibles en limitant l’emploi de pesticides dans l’agriculture. Les arbres enrichissent le sol et fixent l’azote, on a donc plus besoin de gaver la terre de fertilisants. Ils assainissent les eaux et empêchent l’érosion. Pour les agriculteurs du sud, l’arbre permet un revenu complémentaire et protège les végétaux alentours des phénomènes météorologiques extrêmes dus au dérèglement climatique. Je m’arrête là, mais nous avons dressé un total de 100 bénéfices de l’arbre. Planter un arbre coûte 2 à 5 euros et ce dernier génère des bénéfices pendant 100 ans. Pour peu qu’on regarde à long terme c’est un investissement très rentable, et un business qui va peser de plus en plus lourd. Les grosse boites en ont pris conscience.

« L’abre est un investissement très rentable, et un business qui va peser de plus en plus lourd »

Si l’agroforesterie (l’intégration de la forêt à l’agriculture) présente de telles vertus, comment expliquer que le modèle intensif reste dominant ?
 
Le changement, c’est toujours lent. Savez-vous qu’en France, jusqu’à la fin des années 1970, on payait les agriculteurs pour qu’ils coupent les arbres et les haies afin de former des parcelles géantes ? On a longtemps considéré le sol comme un simple substrat qu’il suffisait de nourrir, on l’a vidé de toute matière organique. C’est un système à bout de souffle. Il y a aussi une part d’inconscient collectif : depuis l’origine, beaucoup de civilisations se sont développées en repoussant la forêt, comme s’il s’agissait d’un obstacle.

Il y a les blocages… Mais dans le même temps, n’observe-t-on pas déjà des signaux positifs ?

Si. Une étude de l’INRA a montré qu’en combinant la culture de blé et de noyer, le rendement total augmente de 40%. Elle prouve la pertinence d’un modèle qui interagit avec un écosystème et utilise la science pour favoriser la collaboration entre différentes espèces. Faire avec la nature plutôt que contre elle. De grands acteurs de la chimie, comme BASF, savent que coupler les arbres à l’usage de produits phytosanitaires renforce leur efficacité. Il va y avoir une nouvelle révolution agricole dans les 50 prochaines années, car les producteurs réalisent que c’est moins couteux pour la planète et plus efficace à long terme de revenir vers une vision plus « holiste » de l’agriculture.
 
Le Congrès mondial de l’agroforesterie, auquel vous avez assisté mi-février à New-Dehli, a-t-il confirmé que l’agroforesterie pouvait profiter à tout le monde, y compris aux très grandes entreprises  ?
 
Oui. Le thème de cette année était « comment augmenter l’impact de l’agroforesterie ?  » Cette réunion rassemblait des scientifiques du monde entier. Bois, médecine, eau de pluie, carbone, sols… Il y a énormément de recherches, plus de 700 études, qui démontrent les bénéfices multiples des arbres. On a de l’or entre les mains, il faut qu’on le valorise plus.

« Ce n’est pas avec de la philanthropie qu’on va changer de modèle. »

De gros industriels étaient-ils présents à New-Delhi ?

Le groupe Mars, par exemple, était là. Quand on leur parle commerce équitable, ils disent « refuser de certifier la pauvreté ». Par contre, ils ont décidé d’investir 50 millions de dollars pour mieux connaître le génome du cacao, rendre cette recherche publique et développer des pratiques agroforestières autour de cette semence. C’est une manière de s’engager en participant à la régénération de l’écosystème dont ils dépendent, et ça crée plus de valeur que de vendre des barres chocolatées labellisées. Danone aussi s’engage. Tout cela va s’accélérer pour des raisons simplement économiques. C’est de l’intérêt bien compris. Tant mieux, car ce n’est pas avec de la philanthropie qu’on va changer de modèle. Il est temps d’aller vers les grandes entreprises et les multinationales.

Vous étiez aussi récemment au Forum économique mondial, qui vous a désigne “entrepreneur social de l’année”. Vous ne voyez pas de contradiction à fonder Alter Eco pour finir couronné à Davos ?

Déjà, quand j’ai créé Alter Eco, on nous a accusé de dévoyer le commerce équitable en l’ouvrant au grand public. Aujourd’hui, certains râlent face au nouveau label d’approvisionnement en matière première que Max Havelaar vient de lancer, au motif qu’il serait trop souple. Tout cela est pourtant nécessaire pour changer d’échelle. Il faut sortir de la caricature des patrons businessman méchants. Participer à un évènement comme Davos nous permet d’approcher des décideurs qu’on ne pourrait jamais voir ailleurs. Ces gens ont conscience des enjeux planétaires. Si vous savez les convaincre en trente secondes, ils peuvent donner un coup de boost énorme à vos projets. C’est dans l’intérêt du forum qu’il y ait des jeunes, des entrepreneurs sociaux, des artistes… Cela leur donne accès à des capacités de développement importantes, notamment à travers des pratiques de mécénat.

En France, quel regard portez-vous sur le travail du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et sur la récente loi sur l’agroécologie ?
 
C’est une loi vraiment visionnaire, qui va faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs suivant les préceptes de l’agroécologie, encourager l’information et la formation sur ces pratiques. Il sera plus facile de planter des arbres autour des parcelles, et l’emploi de phytosanitaires à usage privé pourrait bien être interdit. Le problème est qu’entre le vote d’une loi et son application, il se passe toujours trop de temps. Quoi qu’il en soit, cela fait parler de nos idées au public et montre qu’elles ont de l’avenir.

« Monsanto, c’est une boîte avec laquelle j’aurais du mal à traiter »

Qu’est ce qui inquiète le plus l’optimiste que vous êtes ?
 
Les OGM et leur impact irréversible sur la biodiversité. Quand un OGM est disséminé, il n’y a pas de marche en arrière possible. Monsanto argue du fait qu’ils permettent d’utiliser moins de pesticides, mais ces semences génèrent leur propre poison ! Les risques pour la santé humaine sont avérés. Ils prétendent pouvoir faire pousser en milieu aride, mais on peut obtenir de meilleurs résultats en croisant des espèces existantes. Eux-mêmes commencent d’ailleurs à s’y mettre. Mais c’est une boîte avec laquelle j’aurais du mal à traiter. A nous de montrer que nos méthodes sont plus efficaces et moins couteuses. Les OGM n’arrivent pas à la cheville des arbres pour augmenter les rendements agricoles.

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