Partager la publication "Verdir pour purifier : le pouvoir des plantes dans la dépollution des sols"
De prime abord, le ciste à feuille de romarin (cistus libanotis) n’a rien de très spectaculaire. C’est un petit arbuste persistant dépassant à peine un mètre et reconnaissable à ses fleurs faites de cinq pétales blancs. Mais sous la terre, cette plante méditerranéenne détient d’impressionnantes facultés : celles de participer à la dépollution des sols. Via ses racines, le ciste à feuille de romarin absorbe notamment le plomb présent dans certains sols pollués puis accumule cet élément dans ses feuilles où il est absorbé dans des proportions très élevées.
On dit ainsi que c’est une plante “hyperaccumulatrice”. Une possibilité des plus intéressantes, notamment pour protéger les régions minières du nord-est du Maroc de nombreux risques sanitaires et environnementaux. Tâcher de trouver de telles plantes, d’évaluer leur capacité à dépolluer est désormais un champ d’études à part entière : celui de la phytoremédiation.
Construit autour du préfixe phyto, en grec « végétal » et du latin remediatio qui signifie « guérison », ce mot savant désigne la capacité de certaines plantes, via notamment les bactéries associées aux racines, à stabiliser la pollution voire même à décontaminer les sols pollués. Une faculté qui peut avoir de nombreux atouts : là où les technologies existantes pour réaliser la dépollution des sols impliquent le plus souvent une excavation et des traitements chimiques ou physiques, la phytoremédiation a, elle, l’immense avantage d’être peu onéreuse, esthétique et durable.
Elle repose sur deux principales stratégies.
La première est la phytostabilisation, c’est-à-dire la capacité de certains végétaux d’immobiliser les polluants dans leurs racines, et ainsi d’empêcher l’arrivée des polluants dans les nappes phréatiques ou la contamination de la chaîne alimentaire.
La deuxième est la phytoextraction, c’est-à-dire la faculté de certaines plantes à éliminer les polluants en les absorbant dans leurs racines puis en les concentrant dans leurs parties aériennes. Cette forme de dépollution peut impliquer l’utilisation de plantes accumulatrices ou « hyperaccumulatrices », c’est-à-dire capables d’accumuler des concentrations inhabituelles de métaux dans leurs parties aériennes.
Vu ainsi, la phytoremédiation semble une solution magique aisément applicable partout où les activités humaines ont pu polluer les sols. Mais ce champ de la recherche, aussi surprenant que cela puisse paraître au vu de son caractère peu technologique et peu coûteux, demeure relativement récent et beaucoup reste encore à découvrir. Pour l’instant, le nombre d’espèces utilisables à grande échelle reste faible et les connaissances sont encore modestes concernant les mécanismes physiologiques et génétiques à l’origine de la tolérance et de l’hyperaccumulation.
La capacité des plantes à agir dans la dépollution les sols, l’air ou les eaux n’a en fait commencé à être un objet d’étude qu’après la Seconde Guerre mondiale, notamment en URSS concernant les métaux lourds et les eaux polluées par des déchets radioactifs. Au même moment, aux États-Unis, l’idée que les plantes puissent dépolluer un environnement devient également populaire via une étude de la NASA sur les possibilités d’assainir la qualité de l’air grâce à certains végétaux, aux résultats pourtant pas très probants.
Il faudra finalement attendre les années 1990 pour que les concepts de « phytoremédiation » et « phytoextraction » soient développés par l’équipe du biologiste Ilya Raskin, qui étudiait notamment les possibilités de dépolluer les champs contaminés près de Tchernobyl. Et en 1991, enfin, le professeur de botanique britannique Alan Baker réalise, lui, la première expérience in situ montrant la faisabilité de la phytoextraction, démontrant les capacités de phytoextraction de zinc et de cadmium la noccaea caerulescens.
Depuis cet essor de la recherche, le développement de la phytoremédiation reste cependant limité par les difficultés d’adaptation des plantes hyperaccumulatrices connues à des environnements spécifiques. C’est un de nos enjeux principaux de travail sur les terres du Nord-Est marocain polluées par des activités minières.
Notre terrain de recherche s’est concentré autour des sites du district de Touissit, ainsi que de la fonderie voisine d’Oued El Heimer, où l’industrie du plomb a laissé de lourdes séquelles environnementales. La mine de Touissit n’est pourtant plus en fonctionnement depuis 2002, suite à l’épuisement des réserves, et la fonderie a elle fermé en 2013, après des dernières années passées à fusionner et raffiner du plomb et de l’argent importés. Mais les ravages causés par ces industries restent eux bien présents. La dépollution de la zone est donc nécessaire.
Lorsque l’on regarde les sols actuels de Oued el Heimer et de Touissit, avant même de mesurer la présence de métaux lourds, un premier constat se fait : ils présentent de faible teneur en matière organique (entre 0,41 % et 2,80 % pour Oued el Heimer et 0,28 % et 2,07 % à Touissit), qui reflètent ce que l’on voit à la surface : le faible développement de végétaux. Les tentatives de reboisement des environs de la fonderie ont de fait échoué dans cette zone fortement polluée. Une quasi-absence de végétaux qui aggrave l’érosion, et donc la dispersion des polluants.
Et si l’on mesure maintenant les niveaux de Zinc et de Plomb des sols, ceux-ci se révèlent hautement contaminés : L’index de pollution enregistré sur les deux sites varie de 3,62 à 67,90 à Oued el Heimer et de 14,00 à 38,51 à Touissite (un index supérieur à 1 indique un sol pollué).
L’enjeu, donc, avant même de mesurer le potentiel de phytoexactraction d’une plante ou d’une autre pour espérer réussir la dépollution du site, est d’abord d’identifier des plantes susceptibles de pousser dans un environnement aussi pollué. Pour cela, il est important de partir du terrain et de rechercher les plantes indigènes qui subsistent sur ces sites malgré le fort stress environnemental induit par la pollution. Nous avons pu ainsi identifier quatorze espèces, de huit familles différentes.
La roquette bâtarde (Hirschfeldia incana), par exemple, était parmi les espèces végétales dominantes sur ces sites pollués par les métaux lourds. Cette espèce possède une biomasse importante et un fort potentiel d’accumulation du Plomb (>1000 mg. Kg-1 MS). Dans notre laboratoire, nous l’utilisons donc comme plante modèle pour la compréhension des mécanismes moléculaires de réponse au plomb.
Pour les aspects appliqués, nous avons identifié l’espèce Cistus libanotis (ciste à feuille de romarin), une plante hyperaccumulatrice de plomb pouvant atteindre jusqu’à 1400 mg/kg de matière sèche dans ses feuilles. Nous avons proposé un procédé pour son utilisation dans la phytoextraction et la décontamination des sols pollués par le plomb. Une autre espèce intéressante, le harmal (Peganum harmala) possède la capacité d’immobiliser et de limiter la migration des métaux dans le compartiment sol. Cette espèce entrave ainsi le passage des métaux dans la chaîne alimentaire et peut également être utilisée pour le développement d’une économie circulaire dans les régions minières en raison des vertus médicinales de ses graines.
Un aspect non négligeable pour développer la phytoremédiation sur un territoire pollué tout en valorisant les débouchés économiques de cette pratique.
Car si dans le monde de la recherche, la phytoremédiation des sols a désormais fait ses preuves, il reste encore beaucoup à faire pour systématiser cette approche. Celle-ci ne manque pas d’atouts : peu chère, elle est également largement acceptée par l’opinion publique. Du point de vue des décideurs cependant, la lenteur du procédé (au moins plusieurs années) peut décourager. D’où l’importance de corréler les travaux de recherche fondamentale sur la phytoremédiation à des perpsectives économiques. C’est notamment ce que développe l’agromine (ou phytomining en anglais), qui propose d’extraire les métaux des plantes hyperaccumulatrices afin de pouvoir les réutiliser.
Sur les sites miniers du district de Touissit, ainsi qu’autour de la fonderie d’Oued El Heimer, le passage de la recherche à la pratique n’est pas encore eu lieu. Mais alors que nous poursuivons nos recherches sur les plantes les plus propices à la phytoremédiation de ces anciens sites miniers, les autorités ont d’ores et déjà exprimé leur intérêt de mettre en pratique cette approche de dépollution sur ces sites.
À l’échelle du Maroc, nous avons cependant pu constater lors de nos travaux de prospections autour d’autres anciennes mines, une végétalisation mise en place afin de stabiliser les digues de déchets miniers générées. Cependant, les plantes utilisées ne sont pas toujours les plus adaptées aux conditions particulières de ces environnements miniers ce qui entrave la réussite et l’installation à long terme du couvert végétal.
À propos des auteurs :
Mouna Fahr. Professeur en Biotechnologie et Physiologie Végétales, Université Mohammed V de Rabat.
Abdelaziz Smouni. Professeur en biothechnologie et Physiologie végétales, Université Mohammed V de Rabat.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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