À Berlin, 2 000 mètres carrés pour nous apprendre à manger mieux

“2 000 mètres carrés”, c’est la surface d’un centre commercial, d’un parking de 200 voitures, ou le tiers de la pelouse du stade de France. C’est aussi, à peu de choses près, la superficie dont chacun d’entre nous disposerait pour cultiver ses denrées alimentaires si l’ensemble des terres arables du monde (1,4 milliard d’hectares) était partagé équitablement. En un an, une telle parcelle peut fournir 15 tonnes de tomates, 8,5 tonnes de pommes de terre, ou une demi tonne de soja.

“2 000 mètres carrés”, c’est également le nom du projet berlinois lancé il y a deux ans par Regina, agricultrice, Florian, cuisinier, et Luise, webmaster. Soutenus par la Convention agricole et rurale 2020 (ARC 2020 ), une plateforme européenne rassemblant 150 organisations et membres de la société civile, ils ont investi un lopin de terre de 2000 m2 en périphérie de Berlin pour démontrer que “la transition agricole viendra d’en bas”.

Le projet est né d’un sentiment : celui de ne pas avoir été entendus lors de la dernière réforme de la PAC (Politique agricole commune, à l’échelle européenne), eux qui défendent une agriculture raisonnée. Et du constat dressé par l’ARC 2020, qui dénonce “l’inégale répartition des terres sur la planète”. Alors qu’un tiers des surfaces émergées est dédié à l’agriculture, pratiquée par près de 43 % de la population active mondiale, un milliard de personnes à travers le monde souffre de la faim. Dans le même temps, en Europe, nous gaspillons plus d’un tiers de notre production alimentaire.

Provoquer “l’empowerment”

D’autant qu’à l’horizon 2050, les deux milliards de bouches à nourrir supplémentaires poseront la question de l’accroissement la production agricole. Une équation inéluctable ? Pas pour Regina, Florian et Luise (leurs noms ont été changés sur leur site). Au toujours plus, ils préfèrent le “toujours mieux”. Promoteurs d’une agriculture “à l’échelle citoyenne”, ils veulent provoquer l’empowerment, “cette notion selon laquelle chacun peut contribuer à changer les choses, sans forcément chercher à changer le monde en une fois”.

“Pour mieux visualiser notre consommation, notre idée était de la matérialiser sur un terrain délimité”, précise Luise. Pendant un an, les trois associés ont ainsi semé céréales, légumes ou fruits sur le terrain, dans des quantités proportionnelles à “ce qui se fait à l’échelle planétaire”. En invitant “tous ceux qui le voulaient” à participer.

Luise se souvient des premières questions des visiteurs.“Pourquoi un tiers des 2 000 m2 est-il consacré aux céréales ?”. “Nous leur avons répondu que cela était le reflet de la production mondiale, qui est en augmentation du fait de la hausse de la consommation de viande.”

À force d’explications, d’ateliers, de rassemblements, l’association a gagné en visibilité. Et, cette année, elle a pris une nouvelle dimension. Fini la modélisation de l’agriculture mondiale. En 2015, le collectif a choisi de privilégier les légumes et “des produits un peu plus rares. Et tout ce qu’on veut, en fait”. L’objectif : assurer les besoins alimentaires d’une personne grâce à 2 000 m2.
 

“Chaque mois, pendant une semaine, une personne se nourrit exclusivement de la production mensuelle de notre champ”, raconte Luise. Tout est mesuré : quantités, calories, vitamines… Et répertorié sur un blog , qui propose aussi des recettes. Le surplus, car il y en a, est cuisiné sur place, collectivement, offert à des écoles ou envoyé en Norvège, Suède, Chine et en Grèce, à des partenaires qui refusent eux-aussi les méthodes de production industrielle et le gâchis alimentaire.

Plus q’un modèle, une expérience

“Notre idée n’est pas de pratiquer l’autosuffisance”, explique Luise. La monnaie d’échange entre les quatre partenaires entend le prouver. Ils ne comptent pas en argent, mais en “mètre carré de culture” :“Si nous envoyons l’équivalent d’1m2 de culture de potiron en Chine, elle nous envoie 1m2 de café en retour”. Pour faire vivre ce troc, les Berlinois ont attribué chacune des parcelles de leur champ à une groupe “d’experts” issus de la société civile. Chacun étant chargé d’une culture particulière, de la semence à la récolte.

Bien sûr, le projet n’est pas un “modèle”  mais une expérience : “Nous savons bien qu’il n’est pas possible, pour un agriculteur, de cultiver autant de variétés différentes sur le terrain dont il dispose”, soutient Luise, tout en rappelant que chez leurs partenaires chinois, “ce sont trois paysannes et leurs familles qui cultivent les 2 000 m2, sans engrais ni pollution des sols, alors que chez nous, une entreprise dispose souvent de bien plus d’espace … et de techniques chimiques pour améliorer le rendement”.

Ces 2 000 m2 sont ouverts à tous : “sur notre champ, on trouve des sceptiques, des profanes, mais aussi des végans convaincus, qui s’insurgent contre nos deux poules, ou alors des carnivores qui en voudraient plus, mais tous sont globalement plus au fait des problématiques agricoles globales qu’il y a encore deux ans”.

“Au début, ils étaient encore nombreux à ne pas comprendre comment cultiver assez d’aliments sans avoir recours à des pesticides ou engrais chimiques, poursuit-elle. Cet éveil de conscience me pousse à penser qu’il y a une vraie volonté de changement”.

Les 25 et 26 avril, 2 000 m2 organise ses journées portes ouvertes. L’an prochain, l’association aimerait importer son projet au centre de Berlin.

Lara Charmeil
Journaliste à WE DEMAIN
@LaraCharmeil

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