Partager la publication "Elle change la vie des enfants autistes avec des applis sur tablette"
« Je préfère parler d’enfant « extra-ordinaire » que d’enfant handicapé », sourit Gaële Regnault, paisible et déterminée.
« Ceux qu’on a trop longtemps mis de côté parce qu’ils sont soi-disant différents, j’ai envie qu’on les regarde comme les autres enfants. » Pour Noël, cette entrepreneuse social va offrir un cadeau à tous les « enfants extra-ordinaires » de France. Ces enfants, ce sont les autistes. Et leur cadeau, c’est une application sur tablette tactile, pour les aider à communiquer, interagir, aller à l’école, bref : vivre avec les autres. Téléchargeable gratuitement,
Kirikou et les enfants extra-ordinaires prend place dans l’univers du célèbre bambin africain de Michel Ocelot.
Gaële Regnault est à la tête de LearnEnjoy, une entreprise solidaire qui utilise le numérique pour « faire tomber les barrières financières, géographiques dans l’accès aux stratégies de réduction du handicap ». La première application de LearnEnjoy, sortie en octobre 2012, s’est hissée au top des téléchargements dans la catégorie éducation en deux semaines. Depuis, LearnEnjoy travaille avec les établissements médico-sociaux et l’éducation nationale pour améliorer la prise en charge et l’insertion des enfants autistes. Et Gaële a été désignée « fellow » par l’ONG Ashoka qui accompagne les entrepreneurs sociaux du monde entier.
« On nous a proposé d’envoyer notre fils en Belgique ! »
La vie de Gaële aurait pu être celle d’une
« cadre sup parisienne sans ennui ». Une vie faite de
« succès sympathiques et de bonheurs individuels : réussir des projets, voir des amis, se marier, avoir des enfants ». Si elle parle aussi bien de cette vie, c’est qu’elle l’a vécue, comme responsable marketing et directrice de projets dans de grands groupes. Mais tout va changer en 2004, avec l’arrivée de son deuxième enfant, diagnostiqué autiste « de Kanner », un sévère de trouble du développement cognitif.
À l’époque, la France accuse un sérieux retard dans l’accompagnement des personnes autistes, le plus souvent effectué dans un cadre psychanalytique. « On nous a proposé que notre enfant de deux ans et demi soit envoyé dans un établissement spécialisé en Belgique », raconte Gaële, qui se tourne alors vers les approches « comportementalistes » (ABA), venues des États-Unis. Leur objectif : aider l’enfant autiste à améliorer ses aptitudes sociales et cognitives grâce a des jeux et des exercices ciblés : associer des formes, déchiffrer des émotions, distinguer des objets. À force de séances avec des spécialistes, les résultats sont là : Louis gagne en propreté et acquiert les première syllabes.
Détresse parentale
2012. La Haute Autorité de santé reconnaît officiellement les approches comportementales et l’autisme est déclaré « Grande cause nationale » par le premier ministre de l’époque, François Fillon. « Pendant trop longtemps, notre pays a accusé un retard inacceptable », déclare-t-il. Le 2 avril, pour la journée mondiale de l’autisme, des monuments sont illuminés de bleu partout en France. Choisie pour encadrer l’opération en raison de son expertise et son engagement associatif, Gaële laisse son numéro de téléphone sur le dossier de présentation.
Dès le lendemain, son portable sonne. Trop éloignés des rares établissements adaptés, trop pris par le temps, trop précaires, de nombreux parents d’enfants autistes l’appellent à l’aide. Impuissante, Gaële réalise que, comme la sienne, des milliers de familles veulent permettre à leur enfant d’accéder à une prise en charge adaptée… mais que toutes n’en ont pas les moyens. Elle décide de passer à l’acte. « J’ai pensé que la tablette pourrait être un formidable moyen de faire bénéficier les familles et les professionnels de ces approches. »
N°1 sur l’Apple Store education
Gaële s’entoure d’enseignants et d’experts, comme Olivier Bourgueil, psychologue pionnier de l’ABA en France. Recrute des informaticiens. Arrête de dormir :
« on se retrouvait tous le soirs après le travail, et le weekend ». Au bout de plusieurs mois de travail naît LearnEnjoy, programme pour tablette tactile qui permet d’évaluer l’enfant sur différentes compétences et de lui proposer des exercices visuels et ludiques adaptés à son niveau. L’application permet également aux parents de bénéficier de conseils et d’assistance par visioconférence pour répondre aux besoin éducatifs de leur enfant.
[Vidéo] Gaële présente les applications LearnEnjoy
LearnEnjoy rencontre un succès immédiat sur les plateformes d’applications mobiles. Peu de temps après, la FEGAPEI (Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées) décide de l’expérimenter au sein d’établissements spécialisés. Surtout, le ministère de l’Éducation Nationale introduit LearnEnjoy dans certaines classes. « Les écrans exercent une formidable attraction sur les enfants, témoigne Gaële. L’application à permis de créer du lien entre les élèves autistes et les enfants au développement plus ordinaire. » Dans une dizaine d’écoles, LearnEnjoy est depuis utilisé pour délivrer un livre scolaire adapté aux enfants autistes et permet, pour la première fois, aux enfants « extraordinaires » de recevoir un bulletin de notes « ordinaire ».
Défi social
L’entreprise sociale emploie aujourd’hui quatre salariés.
« Moi je ne me compte pas, car je ne me paie pas ! », ajoute Gaële. LearnEnjoy vit de plusieurs sources de revenus : revente d’appli, formation professionnelle, soutiens publics et privés. Elle permet aussi, par la collecte des données anonymisées des enfants, de faire progresser la recherche scientifique et de mieux comprendre l’autisme.
Gaële est lucide. Le numérique est un formidable outil de démocratisation, mais il ne remplacera pas les nécessaires politiques publiques. Pas plus qu’il ne fera bouger, à lui seul, les mentalités. « C’est un immense défi social et LearnEnjoy n’est pas la panacée. » Car le succès de LearnEnjoy témoigne, paradoxalement, du long chemin qui reste à parcourir pour prendre en charge les enfants autistes dans l’Hexagone. En février dernier, la France a été condamnée par le Conseil de l’Europe car trop peu d’entre-eux (environ 20 %) trouvent une place dans les écoles. Et les associations et familles dénoncent le manque d’établissements spécialisés dans les méthodes comportementales et développementales.
« J’observe pourtant que les choses évoluent. Le gouvernement actuel est très actif malgré des moyens contraints. Le regard sur le handicap devient plus positif. » Avec l’appli Kirikou destinée, au delà des autistes, à tous les enfants de France, Gaële espère, à son échelle, contribuer à faire bouger les lignes encore plus vite.