Quand l’intelligence citoyenne s’invite dans la recherche contre le cancer

Ouvert, transdisciplinaire, participatif et indépendant. Epidemium est un programme de recherche d’un nouveau genre. Mis en place par le laboratoire communautaire La Paillasse, à Paris, et l’entreprise pharmaceutique Roche , ce projet de science ouverte est né de la volonté de mieux appréhender l’épidémiologie du cancer. C’est-à-dire, mieux comprendre la répartition des cancers au sein des populations dans le temps et l’espace, ainsi que les facteurs qui les déterminent.
 
Le choix de s’attaquer à la question du cancer n’est pas le fait du hasard. Selon l’OMS, les cancers figurent parmi les principales causes de mortalité dans le monde avec 8,8 millions de décès en 2015, dont 149 000 en France métropolitaine.

Une méthode qui se veut collaborative et inclusive

Développé depuis juillet 2015, Epidemium se concrétise en novembre 2015 sous la forme d’une “coopétition” avec la création de treize équipes pluridisciplinaires.

Comme l’explique Olivier de Fresnoye, en charge du programme, “il s’agit d’un espace décentralisé, parfois physique, parfois numérique, qui regroupe des profils très hétérogènes” : étudiants, chercheurs, médecins, statisticiens ou encore patients.

Qu’ils disposent ou non de connaissances précises sur le cancer, ces derniers peuvent, chacun à leur manière, mettre leurs compétences au service du projet. Par exemple, un data analyst peut, depuis son domicile, traiter des données pour en extraire des informations.

Leur premier défi, Challenge4Cancer, consiste à élaborer, en six mois, un projet permettant d’en apprendre davantage sur l’épidémiologie du cancer. Pour le mener à bien, les participants adoptent une méthode de travail à base d’outils collaboratifs. Tout au long du programme, les équipes doivent, par exemple, publier régulièrement leurs avancées sur un Wiki.

Le projet se veut totalement inclusif. “La présence des malades et de leurs représentants dans certains projets se fait parfois de façon un peu forcée ­— quand elle se fait —, alors qu’Epidemium a été demandeur de notre participation et à l’écoute”, souligne Muriel Londres, membre du comité éthique d’Epidemium et coordinatrice adjointe de l’association [im]Patients, Chroniques & Associés.

Pour Olivier de Fresnoye, cette exhaustivité fait la force du programme, car “la bonne idée ne vient pas toujours de là où on l’attend”.

Les big data, un potentiel énorme dans la santé

L’autre particularité du projet Epidemium réside dans le traitement des big data disponibles en libre accès. Ces dernières désignent un ensemble de données très volumineux, qu’aucun outil classique de gestion de base de données ne peut traiter.

Dans le domaine de la santé, les big data correspondent à l’ensemble des informations socio-démographiques et sanitaires de la population, produites chaque jour de manière massive : prévalence des maladies et mortalité engendrée par celles-ci, efficacité des traitements prescrits, état de santé des citoyens…

“L’analyse des grands jeux de données” est “l’une des techniques émergeantes qui agitent le plus le monde”, explique le mathématicien Cédric Villani, membre du comité éthique d’Epidemium, dans un livre blanc publié en février par le collectif.
 
Si leur utilisation pose de nombreuses questions éthiques, les big data renferment un potentiel énorme, encore peu exploité, pour détecter ou évaluer, par exemple, des situations à risque.

“En apportant en temps réel des informations” sur les patients “elles pourraient permettre à l’épidémiologie d’être non seulement préventive, mais aussi prédictive”, affirment les membres d’Epidemium dans un communiqué de presse. Par exemple, en fonction de son patrimoine génétique, ses antécédents de santé,  son lieu et son mode de vie, un patient pourrait bénéficier d’un suivi ultra-personnalisé.

Mieux prévenir et mieux guérir le cancer

Selon ses membres, le projet Epidemium annonce une nouvelle médecine, à la fois prédictive, préventive, personnalisée et participative grâce à des algorithmes de machine learning et à l’intelligence artificielle. “Bientôt, les médecins auront leur assistant algorithmique qui leur fournira des probabilités pour telle ou telle pathologie”, anticipe Cédric Villani dans le journal du dimanche.

La conséquence, selon Olivier de Fresnoye, est une “redéfinition du rôle du médecin.” “Ce qui va guérir le cancer, conclut-il, ce sont évidemment les traitements. Mais on pense que la donnée va permettre de mieux prévenir, de mieux guérir, de façon plus ciblée et avec moins de médicaments.”
 

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