Sécurité & Résilience

Pourquoi il faut dissocier “progrès technologique” et “progrès humain”

On ne le répétera jamais assez tant la chose est d’importance : il existe une différence fondamentale entre ce qui constitue la fonction du “progrès technologique” et ce qui constitue la nature du “progrès humain”. Rien ne les lie par essence, seules jouent les circonstances. Des siècles durant, science et humanisme ont cheminé sur la même route, se favorisant l’un l’autre, l’invention de l’électricité accompagnant celle de la démocratie. Mais c’était affaire de conjoncture plus que de volonté. Depuis soixante-dix ans au moins, progrès humain et progrès technologique se sont séparés pour ne plus se rejoindre que par intermittence.

Naturellement, “l’air du temps” et le “marché mondialisé” refusent cette évidence contraire à leurs intérêts. L’air du temps, par une forme d’idéologie intellectuelle pervertie, conteste l’idée même de distinction des progrès car cela irait à l’encontre de l’adulation du “principe de commodité” qui fonde désormais le quotidien de nos existences au détriment du “principe de liberté”, progrès humain d’invention fort récente, on l’oublie trop souvent ; le marché mondialisé, lui, par une forme d’idéologie commerciale dévoyée, cherche à masquer le fait que chaque innovation a d’abord pour raison d’être la production d’un profit aussi grand que possible sans préoccupation particulière d’un bien commun le plus élevé possible.

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Le principe de liberté

Continuer à associer progrès humain et progrès technologique interdit de comprendre le futur, c’est-à-dire ce qui est en train de nous arriver. Par exemple, que c’est par le maintien fictif du lien entre les deux types de progrès que passe désormais la totalité des nouvelles stratégies de domination – d’une part entre les États, ensuite entre les États et les individus, enfin entre les individus eux-mêmes. Le chemin pris par un milliard et demi de Chinois en est un exemple archétypal : l’expansion sans frein des nouvelles technologies accompagne chez eux la régression sans limites de leurs libertés.

Les démocraties occidentales sont encore loin de ce modèle, mais l’efficacité par le despotisme technologique les menace chaque jour davantage tant il est plus facile de résoudre les problèmes par la réduction des libertés que par la recherche de solutions résolument soucieuses du seul progrès humain.

Le critère de référence du progrès humain est le principe de liberté

La quête philosophique la plus importante des temps modernes est d’éclairer cette question de la distinction des progrès. Pour la prendre par le commencement, il faut poser un axiome de base, comme en mathématique : le critère de référence du progrès humain est et demeure le “principe de liberté”, c’est-à-dire la possibilité pour chacun d’entre nous de penser et d’agir par lui-même. C’est à l’aune de cette valeur supérieure, dont la fonction est d’irriguer l’ensemble des autres valeurs pour leur donner sens, que doivent être évaluées toutes les innovations afin de refuser celles qui risquent de réduire les libertés et n’accepter que les autres.

Sans quoi vivre vraiment ne voudra bientôt plus rien dire. Il faut se convaincre ensuite que l’intérêt véritable d’une nouveauté ne devrait pas être de nous faciliter prioritairement la vie mais de répondre à une utilité dans l’ordre de l’éthique, le gouvernement de soi, ou à une nécessité dans l’ordre du politique, le gouvernement de la cité.

Intérêt général ou particulier

Pour en juger, il suffit d’examiner dans le premier cas si une innovation rend chaque individu meilleur qu’il n’était auparavant et, dans le second cas, si elle favorise l’expression de la volonté générale vers davantage de bien commun, ou va au contraire à son encontre par le renforcement des intérêts particuliers.

À partir de là, la distinction entre innovation et progrès prend tout son sens et peut guider nos actions en éclairant cette évidence déjà notée par Rousseau et Tocqueville : l’inflation d’un individualisme outrancier, favorisé par une société de marché sans limites, produit davantage de consommateurs que de citoyens, et conduit les sociétés qui se croient libres vers de nouveaux chemins de servitude volontaire.

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