Partager la publication "Laure Noualhat vs Noël Mamère : La Terre peut-elle nourrir 11 milliards d’humains ?"
D’un côté, Noël Mamère qui prépare un documentaire sur ce thème. Journaliste, auteur de nombreux livres, réalisateur de films dont L’Urgence de ralentir en 2014, il défend une écologie politique. Il a été député Vert pendant vingt ans et maire de Bègles, en Gironde, de 1989 à 2017. En 2002, il a recueilli plus de 5 % des voix à l’élection présidentielle, meilleur score jamais obtenu par un candidat écologiste.
De l’autre, Laure Noualhat, journaliste indépendante, autrice et réalisatrice de livres et de documentaires. Elle se déclare écologiste nullipare, c’est-à-dire sans enfants, et vient de publier Lettre ouverte à celles qui n’ont pas (encore) d’enfants (éd. Plon). Celle qui incarnait la contradictrice de Cyril Dion dans le documentaire Après Demain, soutient le mouvement GINK (Green Inclination No Kids) en France : celui des femmes qui ont renoncé à la fécondité, avec comme slogan : “Faites l’amour mais pas de bébé, c’est mauvais pour la planète !”
- We Demain : 11 milliards d’habitants à la fin du siècle, est-ce possible, voire souhaitable, ou est-ce une catastrophe annoncée ?
Laure Noualhat : En théorie c’est possible. Mais intellectuellement, ce n’est pas du tout souhaitable. Aujourd’hui, je vis bien, matériellement, dans le monde occidental, mais mal philosophiquement quand je sais que 3 milliards d’habitants sont dans une grande difficulté, parmi lesquels un milliard dans une extrême pauvreté, avec un dollar et demi par jour et des problèmes de malnutrition. Et puis, l’homme peut-il seul préempter la place des autres espèces vivantes ? Il y a 10 000 ans, l’humain représentait 1 % du poids des animaux terrestres, les 99 autres pourcents étant la faune sauvage. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse, si on ajoute aux êtres humains, les animaux domestiques et d’élevage. Notre rapport au vivant pose un petit problème…
Noël Mamère : La démographie n’est pas la question la plus importante pour l’avenir de l’espèce humaine, contrairement à ce qu’ont écrit dès 1968 Paul et Anne Ehrlich dans le fameux livre Population bomb [La Bombe P., éd. Les Amis de la Terre, ndlr]. Ils expliquent que la démographie est le souci majeur de l’humanité, avec comme conséquence le refus de l’immigration et des populations qui vivent dans la pauvreté et sans souveraineté alimentaire. Mais le vrai sujet est celui de l’inégalité. Les Nord Américains produisent en termes d’effet de serre vingt-deux fois plus de CO2 que les Africains.
C’est une question de mode de vie, de modèle agricole.
C’est la question du modèle capitaliste, qui crée des inégalités par l’accaparement des ressources par une minorité de la population et l’absence de redistribution pour les autres. Assimiler démographie et effondrement, un effondrement qui – puisqu’on est dans la caricature – interviendrait le 28 mai 2030 à 12 h 30, est dangereux.
L. N. : Non, personne ne donne de date.
N. M. : Certains le font ! Or l’effondrement ce n’est absolument pas cela. La réalité c’est que la flèche du progrès est brisée. Nous ne sommes plus dans une conception linéaire du progrès tel qu’il a été conçu au XIXe siècle par les partisans de la croissance et du productivisme. Concernant la démographie, le rapport de l’Onu montre les disparités qui existent. Une majorité de la planète est vieillissante, et se situe en dessous du seuil de renouvellement de la population. C’est en fonction de ces disparités qu’il faut regarder comment permettre à 11 milliards d’humains de vivre sur Terre.
- Donc on peut vivre à 11 milliards ?
N. M. : C’est possible, je ne suis pas le premier à le dire. Marc Dufumier, qui est un des plus grands agronomes français, écrit dans Le Monde du 17 juin 2019 que le monde peut nourrir 10 milliards d’humains à condition de savoir ce que l’on fait, et quelle agriculture on pratique.
L. N. : Tu as dit qu’on ne peut pas découpler la démographie des questions de mode de vie et de modèle économique et socioculturel. Oui, mais la démographie demeure un facteur important. Ça n’est pas LE problème de l’humanité mais c’est UN des problèmes qui est écarté depuis quarante ans des négociations internationales. Depuis un an, on en parle davantage et c’est essentiel. Comme l’écrivait le couple Ehrlich, “calculer la superficie d’un rectangle c’est prendre la longueur et la largeur”. On a besoin des deux facteurs.
N. M. : Ehrlich appartient à un think tank néoconservateur américain qui s’est réveillé l’an dernier, en ressortant les mêmes arguments reproduits par l’appel des 15 000 scientifiques de 2017. C’est une forme d’essentialisme.
L. N. : Mais non ! C’est un faux procès que de dire qu’ils ne font que parler de démographie. Ils traitent des niveaux de vie, de la façon de vivre, etc. Mais la question du nombre est importante.
N. M. : Tu disais tout à l’heure qu’il y a près d’un milliard de gens qui vivent avec moins de un dollar et demi par jour, c’est-à-dire moins que les subventions qui sont accordées à une vache par l’Europe : c’est d’abord ça qui pose problème, et qu’il faut revoir…
- Comment la terre pourrait-elle nourrir et apporter de l’eau potable à tout le monde ?
N. M. : À la condition de changer radicalement de système agricole. Quand je vois que des hectares et des hectares de terres sont consacrés à la production de soja ou d’autres céréales uniquement pour nourrir des animaux plutôt que les humains, je me dis que ça ne va pas. Si on réduit la consommation de viande, on regagnera des terres agricoles pour la souveraineté alimentaire. Dans les pays du Sud, les paysans sont souvent condamnés à pratiquer la culture d’exportation et n’arrivent pas à assurer leur propre alimentation. Le machinisme agricole et les OGM de l’agriculture intensive ont repoussé des paysans hors de leurs terres nourricières, dans des bidonvilles du lumpenproletariat.
Marc Dufumier n’est pas le seul à dire que l’agroécologie est capable de nourrir 11 milliards de personnes : dans deux rapports Agrimonde de 2010 et 2016, l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), qui ne peut pas être taxé d’être particulièrement écolo, indique que l’on pourrait nourrir 11 milliards d’êtres humains à condition de changer radicalement notre système agricole et notre consommation des ressources.
L. N. : C’est trop facile de dire : “C’est possible, il suffit de changer les modèles”. Les modèles ne changent pas ! L’agriculture est basée sur un modèle d’exportation. Elle est responsable de 90 % de la déforestation, elle se développe sur la monoculture, elle conduit à l’épuisement des sols. Donc elle est condamnée. Mais on ne se réoriente pas vers une agroécologie. Et là où il subsiste de l’agriculture vivrière, les terres sont accaparées par les grands pays comme la Chine. Les ressources en eau potable n’ont pas changé depuis les débuts de l’humanité. Elles sont identiques, que l’on compte un ou dix milliards d’habitants.
Nous n’avons plus aujourd’hui que 5 000 m3 disponibles par an et par habitant : 15 % sont utilisés pour l’industrie, 15 % pour les usages domestiques, et 70 % pour cette agriculture qui nourrit des animaux pour nourrir des hommes ! La ration en eau d’une personne, c’est 1 500 litres par jour s’il est végétarien, et 4 000 s’il mange du boeuf ! Et il sera très difficile d’imposer collectivement de ne plus manger de viande quand les Occidentaux en consomment 80 kg par an. 3,6 milliards d’individus vivent dans des zones où il y a des stress hydriques au moins une fois par an.
N. M. : Nous sommes dans une course contre la montre. Mais le véritable événement de ces derniers mois, c’est la naissance d’un paradigme politique qui, jusqu’à maintenant, était resté sous le boisseau : le paradigme écologique. Il va, je l’espère, permettre une prise de conscience. On ne change pas les sociétés par le haut, par les multinationales. Les marches pour le climat ne suffisent pas, mais les actions en justice peuvent fonctionner comme celle qui est menée en ce moment par des maires et par des avocats contre Total pour l’obliger à appliquer le devoir de vigilance. Total, il faut le savoir, c’est 1 % de l’effet de serre mondial, c’est-à-dire autant que la France. Je pense comme Jacques Ellul que, face à leur destin, les hommes ne sont pas prêts à la fatalité.
L. N. : Admettons que nous changions de modèle agricole. Mais le climat est également en train de changer. À chaque degré supplémentaire, les rendements agricoles baissent ; les dernières vagues de chaleur en Russie se sont traduites par 30 % de rendement en moins… Ce qui se passe en Inde actuellement avec la sécheresse est absolument terrifiant, il y a des cultures qui sont en grand danger.
Le problème existe même en Bourgogne : le pineau noir a atteint ses capacités d’adaptation maximum.
Chaque demi-degré supplémentaire provoque des aléas climatiques : dans une même journée on peut avoir des grêlons le matin et 30 °C le soir…
- Comment est-il possible que les plantes s’adaptent ?
N. M. : La question de fond est celle de la relation de l’homme à la nature. Allons-nous continuer à la considérer comme un objet sur lequel on peut prélever comme un prédateur, ou au contraire va-t-on apprendre des cultures que nous avons méprisées, humiliées, exploitées ? Je pense en particulier aux peuples premiers et aux Amérindiens, qui ont une cosmogonie qui n’est pas la nôtre. Va-t-on sortir de notre carcan et de notre aveuglement hérités de Descartes et de la Genèse : “Tu seras maître de la nature” ?
L. N. : Oui, mais c’est en cela que la question du nombre est intéressante. Pourquoi nous, avant toutes les autres espèces ? Pourquoi nous, les premiers prédateurs ? Pourquoi devons-nous continuer à croître de manière indéfinie ?
Nous considérons être les seuls à ne pas devoir être régulés. On régule bien les sangliers dans les forêts françaises !
N. M. : Personne ne dit qu’il ne faut pas réguler. D’ailleurs c’est ce qui se passe en Afrique dans les pays où l’éducation des femmes et le planning familial fonctionnent… Mais il y a un phénomène d’inertie qui fait que, de toute façon, à la fin du siècle, on sera près de 11 milliards.
- Autre interrogation : les besoins en énergie, et en biens de consommation pour 4 milliards d’êtres humains supplémentaires, ne se traduirontils pas inévitablement par une augmentation du CO2 (donc du réchauffement climatique), des déchets et des pollutions diverses ?
N. M. : Pas besoin d’attendre les 4 milliards d’êtres humains supplémentaires : on est déjà dans des économies du gaspillage comme l’a écrit Tristram Stuart dans un livre très intéressant : Global gâchis, révélations sur le scandale mondial du gaspillage alimentaire [éd. Rue de l’Echiquier, 2013, ndlr].
Nous vivons dans des sociétés de gaspillage, de voracité, d’exploitation de nos ressources et de production de pollution.
Daniel Pauly, le grand spécialiste mondial des mers, nous explique que nous risquons de nous retrouver dans une mer visqueuse parce que l’écosystème de nos mers se détériore et permet aux méduses de prospérer. Les centrales nucléaires de la mer baltique ont déjà des problèmes parce que des méduses bouchent les sorties de l’évacuation des eaux. C’est une très belle métaphore : la méduse se nourrit de la pollution et du réchauffement climatique, elle n’est plus en concurrence avec les poissons vertébrés qui sont décalcifiés par l’acidification des océans, et elle va transformer la mer, une de nos principales ressources, en cauchemar. Les questions de pollution, de déchets, d’accaparement des terres, et des ressources se posent déjà. Les majors pétrolières, Aramco, Shell, Total, Exxon, sont parmi les premiers producteurs de CO2, donc de réchauffement climatique de la planète. Il n’y a pas besoin d’attendre les 11 milliards d’habitants…
L. N. : Non, les producteurs de pétrole ne polluent pas ex nihilo, juste pour leur petit plaisir de pollueur. C’est nous qui sommes en bout de cycle avec des bagnoles. Aujourd’hui, un Chinois sur sept ou huit a une voiture. Mais l’intention de la classe moyenne chinoise, c’est-à-dire de 600 millions de personnes, c’est d’avoir chacun sa voiture. En France, nous avons 33 millions de véhicules pour 60 millions d’habitants. Aux États-Unis, un couple sur trois a trois voitures alors qu’ils sont juste deux à pouvoir les conduire ! Donc les Total, Aramco, etc, c’est aussi nous ! Et il n’y a pas que l’énergie, il y a l’eau, et toute notre empreinte écologique, les terres et les ressources dont nous avons besoin pour nous nourrir, nous vêtir, nous divertir…
Quelle est la biocapacité de la Terre pour absorber nos déchets ? Cette empreinte écologique globale est mesurée chaque année par le Global Footprint Network. L’année dernière, au 1er août, les caisses de la nature étaient vides ! Après, nous attaquons les stocks naturels. Moi, quand le 1er août mon banquier me dit « vous êtes à zéro sur votre compte », je me fais virer sans attendre le 31 décembre. Or, ça fait trente ans que cette date butoir avance. Et que fait-on ? Des articles ou des émissions radio pendant trois jours, et après rien ne change. L’inertie que nous évoquions pour la démographie existe aussi avec les gaz à effet de serre. Même si nous parvenions à zéro émission en 2050, le système climatique sera déréglé. Il faut se préparer au pire : 4 milliards d’habitants en plus, c’est 4 milliards de problèmes supplémentaires, 4 milliards de désirs à gérer parce que tout le monde veut du steak, une bagnole, des vacances.
N. M. : Non, quand je regarde la mobilisation des jeunes, ils ne sont plus dans cette logique…
L. N. : Ouh là ! Le mouvement des jeunes, parlons-en à Joigny, dans des villes de 8 000 habitants !
N. M. : J’ai été maire de Bègles pendant vingt-huit ans et je sais que, comme l’a dit une femme Gilet jaune, “ceux qui ont des problèmes de fin de mois le vivent comme la fin du monde”. Pour moi, la fin du monde et la fin du mois, c’est la même chose. C’est la question sociale qui doit primer. Cette femme disait : “Je suis plus préoccupée par l’avenir de mes enfants que par celui des ours polaires.” Évidemment, quand tu ne sais pas comment nourrir tes enfants, tu te poses ces questions et l’écologie est quand même une préoccupation lointaine. Mais dans le même temps, il y a ce mouvement initié par des Suédois sur la honte à prendre l’avion ; beaucoup de gens en prennent conscience aujourd’hui…
- Plus d’habitants, n’est-ce pas aussi mécaniquement, avec l’extension des zones urbaines ou la déforestation, plus de pressions sur les milieux naturels, la biodiversité et les écosystèmes ?
L. N. : Évidemment ! Un rapport de l’Onu nous explique qu’un million d’espèces sur les 30 millions vivant sur la Terre sont menacées. Nous en détruisons entre 17 000 et 100 000 par an ! C’est la sixième et la plus rapide extinction des espèces. Nous sommes responsables de la dévastation du vivant au nom de principes philosophiques, religieux ou culturels qui font de nous des êtres supérieurs.
Nous sommes les premiers prédateurs de cette planète.
N. M. : Les sociétés humaines sont capables du pire, mais je crois aussi, comme le disait Albert Camus, qu’“on ne change pas le monde, on le répare”. Il est possible de compter sur une prise de conscience planétaire. Pablo Servigne a écrit un livre très lumineux qui s’appelle Comment tout peut s’effondrer [avec Raphaël Stevens, éd. Le Seuil, 2015, ndlr], mais également un livre intitulé L’entraide, l’autre loi de la jungle [avec Gauthier Chapelle, éd. Les Liens qui libèrent, 2017, ndlr], dans lequel il explique, derrière Pierre Kropotkine et Élisée Reclus [Deux penseurs anarchistes de la fin du XIXe, début du XXe siècle, ndlr], que l’homme n’est pas doté d’un ADN égoïste mais au contraire de l’idée d’entraide et de la solidarité. L’être humain a entre les mains une puissance considérable qu’il n’avait pas auparavant.
Toute la question est de savoir ce qu’il va en faire : la mettre au service de la destruction de son environnement et, à terme, de son autodestruction ou, au contraire, au service d’un plus grand respect de la nature, en se donnant les chances de survivre sur cette planète qui, de toute façon, continuera de tourner, même s’il n’est plus là.
- L’augmentation de la population va se faire au prix de gros déséquilibres, avec de fortes progressions dans les zones les plus menacées par la désertification, notamment l’Afrique subsaharienne, alors que 55 pays développés, en Europe ou au japon, devraient voir leur population diminuer : n’y a-t-il pas là de graves risques de déstabilisation ?
L. N. : Il faut regarder la réalité en face. Il y aura en 2050, 100 millions de personnes en moins en Europe et 3 milliards d’Africains en plus : un Terrien sur trois sera Africain ! Explosion démographique d’un côté, avec des conditions de vie terrifiantes qui pousseront des peuples à fuir pour survivre, et vieillissement des populations de l’autre, dans les pays riches ! Le Japon consomme aujourd’hui davantage de couche-culotte pour les adultes que pour les bébés ! La solution passe par des politiques de dénatalité en Afrique, et d’anticipation du vieillissement avec recours à une immigration choisie en Europe.
N. M. : Il y a aujourd’hui trois fois plus de réfugiés climatiques que de réfugiés liés à des conflits ou à l’économie. Et les grandes migrations se font entre pays pauvres. L’Europe refuse des mouvements d’immigration qui sont très faibles au regard de ce qu’ils ont été dans le passé. La transition démographique viendra de grandes décisions internationales qui feront baisser la fertilité notamment par l’éducation… Beaucoup de pays africains ne connaissent pas le planning familial. La religion s’y oppose, comme elle s’oppose, en Pologne ou aux États-Unis, à l’avortement.
- Pourra-t-on éviter des politiques drastiques de limitation des naissances, comme celle de l’enfant unique en chine, ou le développement à marche forcée de la contraception ?
L. N. : Il y a chaque année 80 millions de naissances non désirées dans le monde. C’est presque l’équivalent de l’augmentation de la population mondiale. 217 millions de femmes, soit 20 % de celles qui sont en âge de procréer, réclament la contraception. La panification familiale représente 5 milliards de dollars par an, or ce sont les Américains qui ont la main en Afrique. Sept euros investis dans le planning familial, c’est une tonne de CO2 en moins.
Le contrôle des naissances n’est pas forcément coercitif et totalitaire, comme l’a montré l’Iran, qui est passé de six enfants par femme en 1980, à moins de deux en 2000 : l’âge du mariage pour les femmes a été relevé de 13 à 18-19 ans et des cours de contraception sont dispensés aux hommes et aux femmes avant l’obtention d’un contrat de mariage. Les femmes ont beaucoup participé à la révolution iranienne, elles se sont émancipées et ont compris que la vie était plus simple avec un seul enfant qu’avec cinq ou six. En Tunisie, la transition démographique s’est également faite sur la base du volontariat. Au troisième enfant, la stérilisation volontaire est proposée dans les campagnes. Il existe donc des méthodes de contrôle des naissances qui ne sont pas totalitaires ou coercitives comme en Chine, et qui ne relèvent pas de l’eugénisme.
Mais n’oublions pas qu’une naissance dans un pays en développement est 45 fois moins impactante que dans un pays occidental ! Pour réduire notre impact carbone, nous devons devenir végétariens, ne plus prendre l’avion, arrêter la voiture et avoir, non pas zéro enfant, mais un enfant de moins.
N. M. : Je trouve assez inquiétantes ces comparaisons entre les enfants et le CO2. C’est une forme d’essentialisme que de croire que nos sociétés vont rester voraces, gaspilleuses et avec un mode de vie qui ne changera pas. Nous travaillons au contraire pour qu’elles deviennent beaucoup plus sobres et respectueuses de l’environnement. En revanche, je suis tout à fait d’accord sur le rôle de l’éducation, des programmes de santé, et de la contraception pour assurer la transition démographique, en particulier dans les pays subsahariens où la fertilité a déjà baissé. Rappelons enfin que la plupart des pays européens et des pays riches sont en déficit dans le renouvellement de la population. Certains, comme la Russie, l’Allemagne ou la Biélorussie, ont réussi à maintenir leur démographie grâce à l’immigration. Mais dans d’autres, on voit se développer le nativisme, un mouvement qui refuse l’immigration pour ne pas se mélanger entre autochtones et nouveaux arrivants. L’immigration est pourtant la solution.
- Dans les pays développés est né le mouvement GINK (Green inclination no kids : Engagement vert, pas d’enfants) que vous soutenez Laure Noualhat : les femmes renoncent à faire des enfants pour sauver la planète ?
L. N. : Oui, je ne fais pas d’enfant parce que j’aime les enfants. Je pense que la deuxième partie du XX Ie siècle va être assez barbare. J’ai parlé de boucherie avec des conflits exacerbés par les pressions environnementales. Je trouve qu’il y a suffisamment d’enfants qui n’ont pas de parents pour éviter d’avoir à en mettre un supplémentaire au monde, surtout dans le monde qui arrive.
N. M. : J’ai un fils et des petits-enfants et je sais aussi que le XXe siècle a été un siècle de la barbarie, sans qu’on ait attendu d’être 11 milliards d’habitants ! Le monde dans lequel vivront nos enfants sera sans doute encore plus difficile. Peut-être auront-ils d’autres satisfactions que nous ne connaissons pas parce que nous avons vécu dans des sociétés égoïstes et voraces… Je mise sur le fait que les sociétés humaines peuvent évoluer, et pas forcément dans le mauvais sens…