Sur la route des transitions

Agriculture de précision : la connaissance des sols, une idée à creuser

C’est une révolution technologique dans les champs. Et l’occasion de réaliser une situation assez ubuesque : bien souvent, les agriculteurs ont une connaissance très limitée des caractéristiques des sous-sols qu’ils exploitent. Heureusement, l’agriculture de précision est en train de transformer les pratiques agricoles traditionnelles pour tendre vers des pratiques plus durables. Ce changement est bien illustré par le témoignage d’Éric Mahaut, un agriculteur qui a adopté ces nouvelles technologies sur son exploitation, située à Verneuil-sur-Avre, dans l’Eure, à 1 heure de route de Chartres.

Quand il a hérité de la ferme et des terres familiales avec son frère, Éric Mahaut a commencé par reproduire ce qui se faisait jusqu’à présent. Sur les 210 hectares réparties en différentes parcelles, les traitements étaient peu ou prou les mêmes, sauf pour la parcelle en bio. « Au départ, j’ai fait comme tout le monde, sans me poser de question, avec de vieilles méthodes. C’est lors d’une réunion d’information sur le potentiel des sols que j’ai réalisé que je ne connaissais rien de ce qu’il se passait sous mes pieds. » Il y a une dizaine d’années, il décide alors de faire auditer ses terrains pour avoir une cartographie précise de ses sols et de leur fertilité. Budget : 14 000 euros, l’équivalent de l’achat d’un à deux pneus de tracteur.

Jean-Dominique Siegel (WE DEMAIN), Éric Campos (Crédit Agricole) découvrent la cartographie précise des terres et parcelles d’Éric Mahaut. Crédit : Jérémy Lempin / WE DEMAIN.

À la découverte de la diversité des sols agricoles

Phosphore, pH, potassium… Éric Mahaut obtient une vision très précise de la composition des sols. “Il y avait des endroits, j’avais un pH de 6,5, d’autres où j’étais à 8, à 7… Auparavant, je travaillais sur une analyse de sol très simplifiée, qui couvrait tout une parcelle de 10 hectares, par exemple. Et je traitais uniformément. Aujourd’hui, on rentre bien davantage dans la finesse.” Son diagnostic d’hétérogénéité des sols a été réalisé avec la solution de la société be Api.

“Pour vous donner une idée, j’ai commencé par faire à peu près une quinzaine de trous sur toute l’exploitation biologique, après j’ai fait tout le reste sur la partie conventionnelle. On a fait cinquante profils culturaux sur toutes ces parcelles-là. Résultat ? Je n’ai pas deux fois le même profil cultural. Il n’y a pas deux trous qui sont identiques. Ça a été une vraie découverte”, raconte-t-il. Concrètement, en mesurant la conductivité du sol tous les dix mètres, la solution détermine les variations de profondeur et de potentiel du sol. “Le système est d’envoyer des ondes électriques dans le sol et, suivant l’intensité, plus c’est puissant, plus le sol est profond, et plus il a de potentiel”, détaille-t-il.

Cette cartographie précise des différentes zones de ses parcelles est essentielle pour optimiser les apports en engrais et autres intrants. “L’agriculture de précision, c’est apporter l’engrais où il faut, quand il faut”, résume l’Eurois.

“L’agriculture de précision, c’est apporter l’engrais où il faut, quand il faut.”

Les nouvelles technologies comme socle de l’agriculture de précision

Éric Mahaut explique comment l’utilisation de la technologie embarquée dans les tracteurs, combinée à des outils de mesure sophistiqués, a radicalement changé sa façon de travailler la terre. “Nous avons équipé nos tracteurs d’une antenne GPS et d’une console. Un investissement très raisonnable car j’ai pu équiper mes tracteurs vieux de 20-25 ans mais qui fonctionnent encore très bien. Ce système commande ensuite le semoir à engrais – ou n’importe quel outil placé derrière le tracteur – et vient délivrer le produit nécessaire et la juste quantité”, explique-t-il.

Une antenne GPS et une console… en équipant son tracteur, Éric Mahaut a changé la manière de traiter ses terres et cultures pour gagner en efficacité et sobriété. Crédit : Jérémy Lempin / WE DEMAIN.

Depuis qu’il est passé à l’agriculture de précision, Éric Mahaut a observé des améliorations notables dans la gestion de ses cultures, en évitant excès et carences. Fini les apports assez systématiques et les quantités fortement influencées par les fournisseurs d’intrants. En creusant les profils culturaux de ses terres, l’agriculteur a pu identifier les différentes couches de sol et leur composition, ce qui l’a aidé à mieux comprendre les besoins spécifiques de chaque parcelle. La conséquence est

Un retour aux sources pour le métier d’agriculteur

“Ce que j’aime avec l’agriculture de précision, c’est qu’on redevient un agriculteur en tant que tel. On ne peut pas forcer la nature mais on peut essayer de la comprendre. En fait, notre métier d’agriculteur revient à ses racines. Bien connaître, observer et travailler avec ce qu’on a. Je n’ai pas des terres qui sont exceptionnelles mais je fais avec”, précise Éric Mahaut. Depuis qu’il a changé ses pratiques, il a légèrement gagné en rendement mais, surtout, gagné une certaine forme de régularité dans sa production agricole tout en améliorant peu à peu la fertilité de ses sols.

Mais l’agriculture de précision ne se limite pas à l’optimisation des rendements. Elle permet également une gestion plus durable des ressources naturelles. En comprenant mieux les sols, il a pu adapter ses pratiques pour minimiser l’impact environnemental de son exploitation. Cette connaissance approfondie des sols lui permet de prendre des décisions plus éclairées et de mieux préserver la biodiversité. Diversification des types d’intrants, réduction des volumes des produits phytosanitaires utilisés… “En ayant une parfaite connaissance de mes sols aujourd’hui, je sais expliquer ce que je fais et pourquoi je le fais”, conclut-il.

Éric Mahaut tient dans sa main des grains de blé issus de sa production. Crédit : Jérémy Lempin / WE DEMAIN.

SOUTENEZ WE DEMAIN, SOUTENEZ UNE RÉDACTION INDÉPENDANTE
Inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire
et abonnez-vous à notre magazine.

Recent Posts

  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

18 heures ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

1 jour ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago
  • Respirer

Les oursins violets, sentinelles de la pollution marine en Corse

Face aux pressions anthropiques croissantes, les écosystèmes côtiers subissent une contamination insidieuse par des éléments…

4 jours ago