J’ai assisté à un festival de cinéma depuis mon salon

C’était une drôle d’expérience, sans tapis rouge ni grand écran. Sans tonnerre d’applaudissements. Juste un ordinateur posé sur la table d’un salon banal et, sur son écran, une interface familière. On est loin du glamour de la croisette. Je suis “à” We Are One, festival de cinéma d’un nouveau genre, en direct sur YouTube.

Genèse d’un cyber-festival

Rembobinons de quelques semaines. Nous sommes le 27 avril 2020 et le coronavirus paralyse les festivals du monde entier. 21 d’entre eux – parmi lesquels le festival de Cannes, la Mostra de Venise, la Berlinale – répondent à l’appel de Jane Rosenthal, directrice général du festival américain Tribeca et se lancent dans l’organisation de cet immense rendez-vous virtuel. Dix jours de programmation. Une levée de fonds en faveur d’ONG luttant contre le Covid-19. Un catalogue de 105 films, comprenant courts et longs métrages, films d’animation, documentaires, conférences.
 

Les médias ne sont pas très emballés par ce cyber-festival. Le Monde et The Guardian titrent : “un festival en ligne faute de mieux” et regrettent le manque de premières. C’est vrai : We Are One ne propose qu’une poignée d’œuvres inédites.

Après la déception, voyons l’aubaine. Qui peut se targuer d’avoir vu les 105 films et conférences du catalogue de We Are One ? Pour moi, et beaucoup d’autres, il s’agit bel et bien de “premières”. 21 festivals internationaux, auxquels je n’aurais jamais eu l’occasion de me rendre, sont venus à moi. Et leur sélection est accessible à tous – si vous parlez anglais – gratuitement. Alors, sans plus attendre, j’allume mon ordinateur.

Youtube peut-il remplacer le cinéma ?

Les films défilent, en lecture automatique. C’est une sensation étrange que de ne pas pouvoir choisir lequel regarder : le festival refuse de se plier à la règle de la vidéo à la demande. La plupart des œuvres de We Are One ne sont diffusées qu’en direct et s’effacent de la plateforme dès les crédits de fin. Pour ne rien rater, il faut garder un œil sur le programme disponible en ligne… et ne pas avoir peur des carences en sommeil ! Le festival est calé sur le fuseau horaire américain : pour nous Français, les derniers films sont donc diffusés entre minuit et deux heures du matin.

Un chat tente de recréer une salle de cinéma virtuelle. C’est la seule chose qui me rappelle que je ne suis pas seule derrière mon écran : je suis connectée en réseau avec des spectateurs du monde entier. À cet instant, nous sommes tous embarqués dans le même thriller : l’épisode pilote de la série Losing Alice de Sigal Avin, sélectionné par le Jerusalem Film Festival.
 

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En général, nous sommes entre 700 et 1000 personnes à visionner la même œuvre. Résultat : la discussion est difficile à suivre. Les messages défilent à une vitesse effrayante et, la plupart du temps, il ne s’agit que de salutations. “Hello from a small town in Poland”.

Entre les politesses, quelques appels à l’aide : “la piste audio n’est pas synchronisée !” “La vidéo rame !” “Rien ne s’affiche de mon côté ! Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi ?”

Les modérateurs du chat font de leur mieux, mais sont incapables de régler le problème principal : celui de la bande passante. En France, le trafic internet a augmenté de 30 % depuis le début de la pandémie. Télétravail, jeux en ligne et vidéos à la demande font fonctionner le réseau à flux tendu, et We Are One est forcé de faire avec. De mon côté, la qualité des vidéos ne dépasse pas les 720 pixels.

Une image… et un son de basse qualité : même avec mon casque, j’entends encore le piano qui égrène les notes de Hit the road Jack à l’étage. Le soleil, désormais rasant, frappe directement mon écran et me force à me déplacer. Décidément, Youtube ne remplace pas le confort des salles obscures.

Le festival qui tenait dans une poche

“David Lynch aurait honte de moi, écrit un internaute dans le chat, je regarde ce film sur mon smartphone.” C’est la particularité de ce cyber-festival. Si vous n’avez pas peur du très petit écran, et que vous avez des données mobiles en quantité suffisante, vous pouvez vous connecter à l’événement n’importe où. J’en fais l’expérience dans le métro parisien : la qualité du son est encore dégradée et je risque le syndrome du canal carpien, mais j’ai découvert Wakaliwood, le studio de cinéma du bidonville de Wakaliga, en Ouganda.

We Are One propose une autre fonctionnalité dont il n’est pas (encore) possible de faire l’expérience au cinéma : la réalité virtuelle à 360°. Des films dans lesquels vous n’êtes pas assujetti à l’angle de vue fixe d’une caméra, mais où vous pouvez déplacer votre regard au gré de vos envies. De droite à gauche. De haut en bas. Pour explorer le décor dans tous ses détails. Ce genre de technologie implique une diffusion individuelle et reste une rareté, même pour YouTube.
  

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YouTube. C’est peut-être ça le problème, l’absence de dépaysement. We Are One a gagné du temps et de l’argent en privilégiant une plateforme toute faite à la création d’un espace web spécifique. Mais j’ai parfois le sentiment de ne pas assister à un festival et d’avoir simplement oublié de désactiver le mode “lecture automatique” de mon compte.

La plateforme, dont l’ambition de de recréer une expérience de partage, y parvient plus ou moins bien. Je suis soufflée par Shannon Amen, film d’animation de Chris Dainty. Le chat se remplit de “bravo” et de “beautiful movie“, mais en silence. On veut se lever, applaudir lors de la scène de fin, mais ça ne servirait à rien.

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Morgane Russeil-Salvan

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